Victimes, je croyais que tout le monde pouvait l'être. Dans le cas de harcèlement collectif, il faut en fait réunir trois conditions:

1/ Être différent de son milieu ambiant, ce qui est considéré comme une déviance si le milieu en question manque de tolérance. La notion de différence est parfaitement relative. Une femme travaillant dans un métier considéré comme typiquement masculin constitue une différence visible. En absolu, il ne s'agit pas d'une déviance dans le sens populaire du terme mais d'un contraste prononcé entre la victime et son milieu. M.F Hirigoyen cite ce proverbe japonais:" le clou qui dépasse appelle le marteau".

2/ Être rejeté par son milieu ambiant. Dans l'exemple ci-dessus, une femme voulant exercer un métier encore fortement masculin comme la mécanique par exemple va se trouver devant deux possibilités:

La vie étant rarement entièrement blanche ou entièrement noire, il se peut que seule une partie de la population masculine des mécaniciens l'agresse et que l'autre la soutienne, ou laisse faire pour s'éviter d'avoir eux-mêmes un conflit avec les plus agressifs.

3/ Ne pas opposer la résistance nécessaire. 

On peut parfaitement être différent et toléré par son milieu. Tout dépendra d'une part du degré de sympathie que la victime potentielle inspire et d'autre part du seuil de tolérance du milieu. Si l'un des plateaux déséquilibre la balance dans le mauvais sens, la situation pourra dégénérer jusqu'au harcèlement. Ceci est valable pour toutes les formes de harcèlement moral collectif. 

Il est donc compréhensible que celui à qui la victime déplait le plus cherchera en premier lieu à détruire le potentiel de sympathie que celle-ci pourrait avoir. Si le pervers est moins bien vu que la victime, le milieu ambiant ne suivra pas et cela restera au stade d'un conflit entre deux personnes. Mieux, le pervers comprendra où est son intérêt et fera marche arrière. On touche également là un des fondements du problème: chacun devrait réfléchir avant de se laisser entraîner, mais également ne pas prendre parti pour la personne la plus sympathique, ce qui signifie se laisser diriger par ses sentiments.

Bien sûr, il se passera un certain temps avant qu'il ne fasse une marche arrière, le temps qu'il épuise toutes les ressources à sa disposition. Le harcèlement implique une notion de temps. Le pervers cherchera donc à trouver le défaut de la cuirasse chez chacun de ses interlocuteurs pour rendre la victime antipathique, quitte à ce que chaque personne ait un grief différent à reprocher à la victime. Côté victime, elle ne pourra que constater que la collectivité de l'hostilité. 

Au bout d'un moment, même les nouveaux venus répètent les mêmes niaiseries sur la victime officiellement parce qu'il n'y a pas de fumée sans feu, officieusement parce qu'il vaut mieux s'intégrer au groupe dominant. On s'intègre au groupe dominant, parfois en masquant ses différences (ici de manière criminelle en tapant sur un présumé coupable, pour apparaître soi-même sympathique par synchronisation) pour bénéficier plus tard d'un réseau, non pas d'amis (le terme serait un peu trop fort), mais de connaissances pouvant être utiles au cours de sa carrière.

Dire qu'il n'y a pas de fumée sans feu ne signifie pas forcément que la victime est coupable de ce qu'on lui reproche. Il se peut que le feu ait été allumé de manière artificielle par le pervers et que comme les incendies de forêts, celui-ci se soit transmis d'arbre en arbre (de bouche à oreille) parce que l'incendie était rendu possible par la sécheresse (le manque de discernement et de moralité de ceux qui relaient les ragots).

La victime est généralement différente de son milieu ambiant que cela soit par son sexe, la couleur de sa peau, sa réussite ou sa manière de penser. On trouve forcément sympathique quelqu'un de semblable à soi (synchronisation) et on se méfie instinctivement de ceux qui nous semble différent parce que l'on pense que l'on ne peut pas les comprendre.

C'est par la sympathie envers lui et par antipathie envers la victime le pervers regroupera un collectif contre la victime. Les vendeurs connaissent bien la technique qui consiste à apparaître sympathique au client pour mieux assurer une vente, et surtout celle consistant à faire croire au client qu'il est plus sympathique que les autres et que le vendeur va donc lui faire des conditions exceptionnelles. Ici, le pervers utilise la même technique pour un profit personnel et immédiat, nuire à quelqu'un qui lui déplait.

La troisième condition concerne la résistance au harcèlement. L'impact que cela aura dépendra de la tendresse de notre peau affective, comme dirait Lilian Glass. C'est déjà dire que les enfants et ceux qui sont les plus sensibles risquent de subir les plus gros dommages. Ceci est également valable pour ceux qui manque de confiance en eux, particulièrement ceux qui ont été traitées par les personnes importantes de leur vies en adolescents attardés. 

Le harcèlement moral commence pour certains dès la jeunesse quand leurs camarades de classe se moquent d'eux à propos d'une particularité physique (taille, poids, anomalie, etc...), d'une particularité temporaire (appareil dentaire, par exemple) ou même de l'habillement. Il peut venir aussi de parents qui répètent à un enfant qu'il n'était pas désiré ou qu'il ne réussira à rien dans la vie.

Pour d'autres, il arrive avec le mariage (dévalorisation incessante par le conjoint) ou par le travail (par un supérieur hiérarchique, par un collègue malintentionné). Il peut arriver aussi en fin de vie. Qui n'a pas entendu parler des scandales qui ont éclatés dans certaines maisons de retraite où le personnel martyrisait nos anciens?

Le mode de communication pathologique qu'emploie le pervers, d'une façon verbale ou non verbale, entraîne un changement du comportement chez la victime. Au départ, rien ne la distingue des autres dans la mesure où elle aborde les autres avec confiance. Dans un premier temps, elle cherchera à se justifier des attaques du pervers, qui déformera ses propos et s'en servira pour proférer de nouvelles attaques. Dans un second temps, elle perdra confiance non seulement en elle (le pervers s'y emploiera), mais aussi dans les autres par leur absence de reconnaissance des agressions et vexations subies (certains spectateurs aident  le pervers, d'autres font comme si ils n'avaient rien vu, ni entendu) et l'absence de solutions pour s'en sortir (certains remèdes, comme la démission, pouvant être pires que le mal). Le harcèlement incessant la poussera vers la solitude et vers des crises de désespoir qui pourront aller jusqu'à la dépression, voire plus grave au suicide. Si l'on faisait une enquête sérieuse, je n'ai pas de doutes qu'on trouverait chez les victimes nombre de personnes compensant par l'alcool ou les tranquillisants.

Les plus aptes à devenir des victimes sont les plus sensibles et celles qui ont le moins confiance en elles. Ci-dessous une liste des symptômes des personnes manquant de confiance en elles (magazine ISA n°6):